Radio Rotation FM fut l’un des pionniers dans la radiodiffusion à Belladère. Une station qui, à travers ses nombreuses émissions et ses initiatives, a rythmé la vie culturelle belladeroise et qui a permis à de nombreux jeunes de trouver leurs vocations. Nous avons rencontré Amos Duboirant, Directeur général de la station, pour un entretien exclusif. Il nous parle de son parcours, de la genèse de Radio Rotation, de son implication dans la dynamique culturelle de la ville et de l’avenir.
- Bonjour M. Duboirant, est-ce que vous pouvez vous présenter pour nos lecteurs Belladerois et les internautes ? Parlez-nous un peu de votre parcours.
Je salue tous les Belladerois et Belladeroises, ainsi que tous les internautes qui vont lire cet entretien. Je suis Amos Duboirant, enfant de Belladère. J’ai fait mes études classiques et universitaires à Port-au-Prince : à Dumarsais Estimé pour le primaire, le secondaire au Collège Chrétien d’Haïti et au Collège Jean Price Mars. Ensuite, je suis entré à l’université pour faire des études en sciences politiques et en communication. J’ai fait mes premières expériences à la radio en 1991. Cette passion pour la radio et le journalisme m’a ouvert d’autres portes, comme une formation en matière de journalisme d’enquête avec RFI (Radio France Internationale) et VOA (Voice of America) aux Etats-Unis.
Mon parcours m’a amené à travailler à Radio Liberté, à Radio Phare, à Radio Cadence et à Radio Guinen. Bien que je n’y ai pas travaillé, j’ai suivi de près la programmation de radio Superstar, car à l’époque, cette station portait en elle l’âme de l’animation, avec des figures comme Dubic Baudelaire, Guito St-Fleur, Max-Evens Emellus et tant d’autres animateurs. Ma plus belle expérience a été à Radio Tropical, où j’ai pu aiguiser mon professionnalisme.
Ces expériences et ce parcours auront un grand impact sur le fonctionnement de Radio Rotation FM. J’ai commencé à nourrir l’idée de lancer ma propre radio en 1995, alors que j’étais encore étudiant. Lorsque je suis arrivé à Belladère avec ce projet, on ne m’avait pas pris au sérieux, car je n’étais pas un notable de la ville, selon les dires de certains. Mais cela ne m’a pas empêché de travailler sur le projet. Après deux ans à faire des économies, j’ai pu acheter le matériel nécessaire pour lancer Radio Rotation FM le 25 juillet 1998.
L’animation est et restera ma plus belle rencontre et ma plus grande passion.
Amos Duboirant
- D’où vous est venue la passion de la radio ?

Cette passion m’est venue très jeune car j’étais un auditeur inconditionnel. Je connaissais toutes les émissions et tous les animateurs, j’étais vraiment connecté avec les radios en Haïti. En ce temps-là, la radiodiffusion était à son plus haut niveau d’excellence, avec des animateurs formés et doués pour ce qu’ils faisaient, ce qui est très différent de ce que nous consommons aujourd’hui. Les stations de radio faisaient preuve d’originalité et de créativité. Il y avait de la substance et de la matière dans les émissions. Aujourd’hui, on a l’impression que les stations ont toutes les mêmes programmations et qu’elles copient les idées des unes et des autres.
La passion d’écouter la radio a fait naître en moi cette envie de devenir un animateur et à partir de mes premières expériences derrière le micro, j’ai été piqué par ce venin. L’animation est et restera ma plus belle rencontre et ma plus grande passion. Je n’oublierai jamais les émissions comme « Discothèque populaire », « Planète vibration » et « Feu vert », des émissions emblématiques qui ont nourri mon imaginaire.
- Qu’est-ce qui avait donné naissance à Radio Rotation FM ? Racontez-nous la genèse de ce projet.
Belladère a toujours été un point central dans ma vie et mes réalisations et je me disais toujours que si je devais réaliser un projet d’envergure, ça devrait être dans ma commune. À l’époque, j’aurais pu m’orienter vers d’autres projets, mais j’ai préféré investir dans celui-là, car Belladère était dépourvue de tout. Mon ambition était de construire un outil qui favoriserait des échanges et des interactions qui rehausseraient la dynamique de la ville de Belladère. Radio Rotation FM a permis l’émergence du débat politique, c’était un nouvel outil de communication mis à disposition des campagnes électorales. Elle a permis aux politiciens de l’époque de présenter autrement leur projet de mandat à la population.
- Quels sont les grands moments, les dates importantes qui ont marqué la vie de Radio Rotation FM ?
Nous avons décloisonné la radio en la rendant accessible à tous. Nous avons permis aux auditeurs et auditrices de s’approprier la station. A titre d’exemple, nous sommes partis à la rencontre des paysans pour participer à des konbits. On peut se remémorer le match entre les chauffeurs de Belladère et ceux de Lascahobas, c’était un moment inoubliable. Nous avons retransmis des émissions dans les différentes sections communales de la ville. Très présente dans la vie des Belladerois, la radio était écoutée de partout. Nous avons aussi organisé de nombreux événements comme les concours : Konkou Chante Nwel, la Fête des pères, Place aux enfants. Tous les Belladerois et Belladeroises peuvent témoigner des grands moments de Rotation FM. De 2002 à 2004, à l’époque des assaillants, nous n’avons pas cessé d’informer la population. J’en profite pour saluer l’équipe qui était à mes côtés à l’époque et qui faisait un travail exemplaire. Au péril de notre vie, nous avons cherché à protéger la population en lui apportant de l’information.
- Quelles ont été les émissions phares de la radio ?
Parmi les émissions phares de Rotation FM, on peut citer Rotation Matinale, Civisme et droit, Planète vibration, Chaud des ondes et Matin chrétien. Des émissions de prédilection de la programmation de la station, qui ont permis l’émergence d’une pléiade d’animateurs et d’animatrices très talentueux. On peut citer Renald Luberice, Delva Jean-Phèdre, Vicline Luberice, Mirtha Ladouceur, Achim Descartes, Soucaneau Gabriel, Marckenson Jean-Baptiste, Pierre Michel, Duckenson André, ils ont été les animateurs phares de Radio Rotation FM.
- Radio Rotation a été pendant son existence un opérateur culturel très important dans la commune. Vous avez lancé les concours « Chante Nwèl », Miss Belladeroise, « Génie interscolaire », pour ne citer que ceux-là. Qu’est-ce qui vous animait à l’époque et comment voyez-vous la dynamique culturelle à Belladère en ce moment ?
Le lancement de Radio Rotation FM en tant qu’un organe d’information et de détente a comblé un vide culturel énorme dans la ville. A l’époque, il n’y avait pas de lieux culturels, de clubs ou de discothèques. Rotation FM a donc comblé ce vide. Aujourd’hui, il y a des espaces de détente mais il y a un manque de contenu. On ne ressent pas la volonté de proposer de la culture. À titre d’exemple, on a un terrain de foot, un terrain de volley et de basket mais il n’y a pas d’équipes et il n’y a pas de compétitions. Il y a plusieurs facteurs qui influencent les activités culturelles dans une commune, l’aspect socio-intellectuel. L’intellectuel ne marche pas sans le culturel. Ceux qui portent la culture de nos jours n’ont pas les compétences pour le faire. Après Rotation FM, la relève n’a pas été assurée, en ce sens qu’il n’y a pas une structure qui porte la programmation culturelle de la ville.
- Qu’est-ce qui avait mené à la fermeture définitive de la station ?
Je ne parlerai pas de fermeture définitive parce que la station vit encore. Ma présence sur la scène politique belladeroise a profondément influencé l’équilibre de la radio. C’est mon plus grand échec ainsi que celui de la radio. Pendant ma dernière candidature, Radio Rotation FM a sponsorisé mon projet politique et il n’y a pas eu assez de ressources pour garder la station en équilibre. Je suis bel et bien le responsable, car c’est moi qui ai amené la radio sur ce chemin-là, mais je pense que si on était dans un pays développé, cela n’aurait pas été un échec, car nous étions en avance sur notre temps. Le déclin de la radio a commencé à partir de 2005, ensuite il y a eu plusieurs vandalisations, nous avons perdu nos archives et de là, la station a décliné rapidement jusqu’à ne plus émettre.
- Est-ce qu’on peut s’attendre à un retour de radio Rotation FM un jour ?
Rotation reviendra, le rêve est encore là, le projet est encore là et nous y travaillons avec acharnement. Je tiens à préciser que ce ne sera pas une radio politique, je ne ferai pas la même erreur deux fois.
- En ce début de 2021, un petit mot pour les Belladerois et les Belladeroises ?
Belladère est sur une mauvaise voie depuis quelques temps, mes vœux pour 2021 seraient un retour à l’ordre moral, à l’ordre social, à l’ordre artistique et intellectuel, au respect mutuel, au vivre ensemble. Je souhaite aux Belladerois et aux Belladeroises une heureuse année 2021 dans la paix, dans la tranquillité, dans la sérénité, dans la convivialité et la solidarité.
Propos recueillis par Soucaneau Gabriel